La question peut sembler naïve, mais, depuis l’affaire Charlie Hebdo avons-nous plus conscience de l’importance des images que nous véhiculons pour définir qui nous sommes ?
Les caricatures plus ou moins grotesques de Charlie Hebdo comme les vidéos de l’état islamique tranchant des gorges et détruisant leur propre culture en mettant en pièces des sculptures anciennes nous prouvent encore que l’utilisation des images pour exprimer des idées, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, est une composante essentielle dans l’organisation de notre psyché. Les deux groupes se répondent comme un miroir grossissant, où chacun montre par l’image jusqu’où il peut aller dans son droit à l’expression afin de revendiquer haut et fort sa « façon de penser ». Bien sûr, provoquer le rire par l’absurde et la satire n’est pas comparable à provoquer l’horreur par le meurtre en direct. Par contre, il y a un dénominateur commun entre ces deux groupes qui s’affrontent dans l’arène de la morale, de la liberté d’expression et de la censure religieuse : l’utilisation de l’image.
Notre langage imagé s’enrichit de jour en jour par un nombre effarant d’icônes et de nouveaux symboles que le monde informatique invente au fur et à mesure qu’il crée de nouvelles plateformes et de nouvelles applications. L’image vidéo, quant à elle, est maintenant un mode de communication si populaire qu’elle devient presque incontournable quand il s’agit d’expliquer, de définir, de montrer, de simuler et même d’analyser une situation ou un développement social. Dans le secteur du commerce, on répète continuellement qu’il faut soigner son image de marque et travailler son image auprès de sa clientèle cible. Que ce soit l’image d’un produit, du président, de l’entreprise et de ses employés, l’image est au menu de la communication comme si elle était à la fois la source de tous les développements et la finalité de toutes les réalisations.
Si nous remontons aussi loin que la préhistoire, le souci de traduire en images une façon de vivre et de survivre remonte à plus de 35 000 ans avant J. C. Les peintures rupestres et les talismans abstraits en os d’animaux étaient des aide-mémoire visuels et ont participé à la création de notre mémoire collective. Qu’importe si nous avons la bonne interprétation ou non de ces œuvres d’art préhistoriques, elles existent d’abord et avant tout comme des témoins, à l’égal d’une série de photos instantanées, de la vie d’êtres humains ayant sacralisé en images leur façon d’imaginer la réalité. Même l’effort que ces hommes et femmes préhistoriques ont pu faire pour trouver des matériaux et une technique appropriée pour fixer ces images d’animaux sur les parois glissantes d’une grotte sombre et humide révèlent en soi la conscience aiguë de l’image comme porteuse de messages intemporels.
Nous avons sacralisé les images du passé avant même de les comprendre. Nous avons des préférences pour certaines images parce qu’elles vivent en nous ou encore parce qu’elles sont signifiantes pour notre propre culture. Nous devons reconnaître que les images sont essentielles à notre développement psychique, car elles sont des portails qui donnent un sens à la complexité de notre développement humain.
Le réflexe de mettre en images ce qu’ont essaie de comprendre de notre condition humaine est une façon de visualiser SON humanité et surtout de s’approprier SON niveau d’interprétation d’un langage qui est devenu de plus en plus abstrait avec le temps. Ce qui semble nous échapper dans des moments où il faut, malgré tout, chercher à évoluer, c’est que nous sommes des êtres se nourrissant d’abstraction pour mieux embrasser mentalement plusieurs niveaux de réalité à la fois. Et, l’image, même figurative, offre un terrain propice à un deuxième, sinon un troisième niveau d’interprétation, selon ses principes, ses croyances et les conventions de sa culture. Même s’il n’est pas facile de comprendre le langage imagé d’une autre culture ou religion, il faut quand même considérer que tous les signes et symboles sont d’origine humaine.
Ne l’oublions pas, nous sommes les seuls êtres vivants sur cette planète à utiliser des images pour communiquer, nous avons donc l’occasion d’utiliser un lieu commun « abstrait » qui pourrait nous réunir et accélérer notre évolution. L’image et sa valeur symbolique sont un fabuleux laboratoire pour organiser notre développement à des niveaux encore insoupçonnés, ce qui nous donne la chance de prendre du recul face à une réalité que l’on perçoit de plus en plus comme planétaire, voire infinie.
Créer de la poésie, saisir la dimension mathématique, entrer dans le monde subatomique, générer de nouvelles visions politiques, percer le mystère des astres et même découvrir un lien spirituel qui relierait toutes ces multiples dimensions peut certainement nous entrainer dans une dérive de sens, mais ces exercices de pensée nous rendent aussi extrêmement intelligents et connectés avec notre dimension symbolique.
Michel Delage