Diviser la réalité en deux parties égales qu’elles soient noires ou blanches, bonnes ou mauvaises, chaudes ou froides devient presque un réflexe conditionné de notre façon de penser. Même la science possède cette grille dualiste où la matière s’oppose à l’antimatière, le Big Bang, considéré comme le temps zéro de l’univers sidéral, au Big Crunch figurant comme la fin «explosive» de celui-ci. Mais, si on y regarde de près, ce dualisme fondamental, cette supersymétrie, cette polarité élémentaire qui divisent toutes les composantes connues et même inconnues n’est pas vraiment un principe invariant de la nature.
Il est vrai qu’il est possible de regarder la réalité et d’y retrouver des oppositions ou, du moins , d’y reconnaître des polarités, lesquelles seraient à la base de plusieurs développements dans des ordres de grandeur très variés. Mais ces suites d’oppositions ne sont qu’une illusion, car le fondement même de ces multiples polarités dans des échelles de grandeur variant de 10-44 (le mur de Planck*) jusqu’à 1040 (l’univers sidéral) est de se développer. Rien n’est fixe, rien ne peut rester ad vitam aeternam dans un rôle d’opposition à quelque chose d’autre. Toute forme de dualité se transformera, un jour ou l’autre, pour devenir une sorte de mouvement continu, capable d’entrer en interraction avec d’autres mouvements, et ainsi à l’infini.
Par exemple, voir l’eau comme l’opposé du feu relève du domaine de la croyance. De valeurs dites «opposées», l’eau et le feu deviennent totalement complémentaires dans des ordres de grandeur différents, car ils ont un puissant dénominateur commun : l’hydrogène. En effet, la molécule d’eau, constituée à 66 % d’hydrogène, peut se comparer à notre soleil, alimenté par les atomes d’hydrogène de l’espace à hauteur de 90%. L’un est émetteur (le soleil) alors que l’autre (l’eau) est récepteur. La molécule d’eau peut rediffuser les émissions solaires en une variation d’ondes calorifiques à travers ses trois phases (glace, liquide et vapeur). Même si ce transfert de l’extrême chaleur à la glace présente l’apparence d’une polarité quand nous les mettons sur le même plan, les phases de transformation de l’eau nous démontrent la création de cycle qui ne sont pas en opposition avec ceux du soleil. L’eau et le feu n’engendrent non pas un dualisme fondamental mais plutôt un transfert d’énergie dans un changement d’échelle.
De la même façon, nous pouvons continuer à séparer intellectuellement le macrocosme du microcosme sans jamais considérer que les étoiles, des soleils sont le foyer d’un rassemblement de minuscules particules atomiques et le creuset d’une fantastique transformation de matière atteignant des millions de degrés de chaleur dans un environnement sidéral de -50 centigrade en moyenne. Notre conception d’une chaleur opposée au froid doit donc évoluer, car le soleil se nourrit des hydrogènes galactiques hyperfroid comme combustible.
Cette manie de voir la division de la nature dans toutes ses manifestations est d’autant plus agaçante que nous parlons encore de la division de la cellule en biologie alors qu’en fait elle se multiplie. L’action de diviser la cellule serait la décomposer en parties pour établir ses constituants essentiels. Mais quand la cellule se dédouble et amorce un processus de réplication, il y a nécessairement multiplication. Car, si à partir d’une cellule, nous en obtenons deux, quatre puis une multitude, il est normal d’y voir un développement exponentiel et non une division. Le terme persiste pour nous laisser croire que tout est séparé, morcelé, divisé, atomisé. La croissance, qu’elle soit de type biologique ou stellaire, engendre une série de complémentarités et d’associations ayant le rôle de réunir et de recomposer la matière pour continuer différents développements. Si la nature des choses était aussi divisée, il n’y aurait pas autant de possibilités de manifestation. La vie, telle qu’on peut se l’imaginer, est une superposition d’associations dans des échelles de grandeur passant de l’infiniment petit à l’infiniment grand et rien dans ses multiples associations ne laisse croire à une division quelconque. Au contraire, tout est récupéré au quark** près, et, si division il y a, c’est dans notre façon de nous détacher abstraitement de cette fabuleuse machine à refaire l’unité qu’est la nature.
Quelle serait la finalité d’un principe où le développement serait automatiquement associé à une division quelconque ? Est-ce qu’un papillon qui sort de sa chrysalide explose ? Est-ce que le virus, pour se reproduire, doit tuer la cellule qu’il investit ? Est-ce qu’un femme qui met au monde un enfant se divise d’elle-même ?
* Le Mur de Planck (du nom du physicien Max Planck) désigne la période de l’univers où ce dernier avait un âge de l’ordre du temps de Planck, à savoir environ 10-44 secondes
** Les quarks sont des fermions que la théorie du modèle standard décrit, en compagnie de la famille des leptons, comme les constituants élémentaires de la matière
Michel Delage