Dans l’histoire, nos différentes organisations sociales imitent le développement de la nature. En effet, nous raffinons sans cesse nos connaissances sur certains aspects de notre environnement pour y puiser allègrement des exemples, voire des principes, afin d’améliorer nos structures politiques, administratives, commerciales et, même, personnelles. Par exemple, la hiérarchisation de nos sociétés, où empereurs, gouvernements et multinationales centralisent le pouvoir détenu par seulement quelques individus ressemble étrangement à la formation des trous noirs célestes. Une comparaison avec de tels phénomènes astronomiques peut aussi se faire avec la technologie mobile.
Ce que nous savons des trous noirs, c’est qu’au centre des soleils et des galaxies, il y aurait une sorte de masse sphérique qui centralise le développement de ces événements célestes. On peut aussi dire que les trous noirs* sont comparables à notre conception particulaire** du monde atomique dans lequel le noyau attractif est en fait un pôle d’où gravitent des électrons créant un volume magnétique capable d’entrer en relation avec d’autres volumes du même type. Les trous noirs galactiques génèrent une sorte de développement à la fois centrifuge (ils tournent sur eux-mêmes) et centripète (ils dégagent une multitude d’ondes pour enrichir leur enveloppe magnétique). Nos connaissances actuelles sur les trous noirs nous amènent à les considérer comme les vrais moteurs de l’univers malgré leur caractère invisible et difficilement analysable dans leur totalité.
La comparaison entre hiérarchie sociale, utilisation de la technologie mobile et trous noirs se fait au niveau d’une action à la fois centrifuge, en ce sens qu’ils créent tous un noyau central qui garde précieusement un pouvoir d’émission, et centripète, parce qu’ils génèrent un rassemblement des forces vives de la population, ou d’une clientèle, autour d’une même idée ou d’une vision commune de la réalité. Tout comme les systèmes solaires, les mouvements sociaux, qu’ils soient d’ordre communautaire, politique ou commercial, ont souvent un foyer lumineux émissif : une idée principale ayant un pouvoir attractif, mais un côté invisible d’une opacité parfois quasi impénétrable et noire d’un point de vue métaphorique.
Cette comparaison avec des phénomènes astronomiques de type « trou noir » peut également se faire avec la technologie mobile qui, organise et structure de plus en plus nos vies et centralise l’information dans un objet attractif dont la source est plus ou moins « invisible », pour ne pas dire inconnue. Autrement dit, les cellulaires et les ordinateurs présentent ce même « pattern » : ils sont à la fois centrifuges parce qu’ils nous attirent dans un mouvement attractif, et centripètes, car ils nous mettent en contact avec plusieurs types de réseaux sociaux qui nous donnent une présence virtuelle dans des sphères souvent difficiles à circonscrire dans un nuage électronique dont peu d’entre nous connaissent le fonctionnement.
À l’heure actuelle, l’engouement pour les téléphones intelligents prend tellement d’ampleur qu’on peut dire sans se tromper que certains consommateurs « tombent » littéralement corps et âme, sans pouvoir y échapper, dans ce « rectangle noir » qui absorbe totalement leur concentration. Plusieurs études ont montré que la dépendance à la machine devient catastrophique pour ceux et celles qui se laissent prendre par les multiples fonctions de l’appareil. Le rectangle noir aspire la lumière de la personne à un point tel que certains utilisateurs vont même jusqu’à croire que ses appareils sont indispensables pour assurer leur épanouissement personnel. Pour eux, il devient plus important de participer à la masse magnétique des réseaux de satellites que de raffiner leur propre capacité à entrer en communication avec de vraies personnes.
Par ailleurs, être en possession d’un rectangle noir, c’est aussi avoir la possibilité de modifier à volonté son image de soi en la reconstruisant à des fins de promotion et de représentation. Il s’agit dès lors d’une technologie qui a inévitablement des effets pervers sur l’épanouissement de la personne qui, normalement, devrait se construire à même des expériences réelles et non en utilisant une série de représentations virtuelles éphémères (les selfies), qui n’ont de sens que si elles sont vues à l’écran. Le rectangle noir devient dans ce cas une sorte de « trou noir » miniature et portatif autour duquel s’organise et se structure la psyché (le sens que l’appareil donne à la réalité) de ceux et celles en manque de vécu réel. Après un certain temps, si le rectangle noir n’est plus là, il y a effondrement des valeurs de la personne comme une sorte d’implosion identitaire. Le rectangle noir ayant gardé précieusement dans sa gangue informatique la source même du développement personnel de l’utilisateur, celui-ci stoppe net son processus de reconnaissance de soi, ayant malheureusement remis l’entièreté des étapes de sa croissance dans la mémoire du nuage informatique. Le vide de sens qui s’ensuit provoque ainsi une détresse psychologique parfois suivie d’une angoisse de vivre dont on ne soupçonnait pas l’existence.
La même chose est en partie vrai pour d’autres objets qui prennent peu à peu plus d’importance qu’il n’en faut pour ceux et celles qui présentent cette même fragilité identitaire et psychologique. Qu’il s’agisse de porter une arme pour se protéger d’ennemis imaginaires ou de se valoriser par l’achat d’une automobile, le culte de l’objet sert à cautionner l’identité de l’utilisateur plus qu’à bonifier ses actions ou à les rendre plus efficaces. Tous les objets du monde : couronne, château, avion, pistolet, auto et aujourd’hui cellulaire ne sont que des objets. Il faut s’en souvenir même s’il faut les mettre de côté pour valoriser ce que nous avons de plus humain : nos contacts avec autrui.
L’espace sidéral, le monde atomique et la vie planétaire constituent un fabuleux miroir pour notre développement social et personnel. Faire des analogies avec ces phénomènes permet de nous aider à mieux nous comprendre et, éventuellement, à devenir meilleurs. Si, par mésaventure nous devenons dépendants d’un simple objet avec l’illusion qu’il peut définir plus facilement notre identité, c’est le signe qu’il faut revenir à quelque chose de simple… de beaucoup plus simple.
Après l’explosion d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945, le développement social s’est orienté vers une consommation effrénée d’objets de toutes sortes. Notre monde actuel a été fragmenté en milliard de morceaux qui sont devenus une source de pollution pour notre environnement. Cette bombe, née de la fissure du noyau d’un atome d’hydrogène et qui libère une énergie fabuleuse, a fissuré en même temps notre façon de penser et à créé un monde explosif et fragmentaire qui fissure à son tour l’axe principal de nos valeurs humaines avec la production incontrôlable d’objets qui créent des dépendances imaginaires. Aujourd’hui, nous vivons pour consommer ces produits qui détruisent notre planète, engendrent des guerres fratricides et divisent la population soumise à la loi de l’offre et de la demande.
Si notre connaissance du monde microscopique de l’atome et celle des objets célestes donne le moyen de produire des centrales nucléaires et des armes de destruction massives visant à contrôler une puissance de feu et à pouvoir produire encore et toujours plus de biens, il se peut que, collectivement, nous ne soyons pas assez matures pour comprendre ces aspects de la réalité dans leur essence propre. De même, si notre dépendance à la mobilité technologique nous entraîne dans un processus de dématérialisation de notre identité, qui remplace notre « image de soi » par une représentation virtuelle en fonction de laquelle la machine est seule à détenir les étapes de vie, il se peut que nos sociétés explosent et implosent tout à la fois (ce qui se passe partout sur la planète) pour essayer de retrouver l’essence même de notre condition humaine.
Le rectangle noir peut-il nous aider à découvrir de nouvelles solutions afin de retrouver notre identité ? En quoi le rectangle noir influence-t-il notre façon de penser, si tout est mis en oeuvre pour fragiliser notre développement politique, social et psychique?
Bref, qui est vraiment derrière le rectangle noir ? Un gigantesque trou noir social ou des homos sapiens technomobilis en quête d’un nouveau sens pour l’avenir de l’humanité?
Michel Delage
Réf :
* Trou noir : En astrophysique, un trou noir1 est un objet céleste si compact que l’intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. De tels objets ne peuvent ni émettre, ni réfléchir la lumière et sont donc noirs, ce qui en astronomie revient à dire qu’ils sont invisibles. Toutefois, plusieurs techniques d’observation indirecte dans différentes longueurs d’ondes ont été mises au point et permettent d’étudier les phénomènes qu’ils induisent. En particulier, la matière happée par un trou noir est chauffée à des températures considérables avant d’être « engloutie » et émet une quantité importante de rayons X (fr.wikipedia.org/wiki/Trou_noir)
** modèle particulaire (ou modèle corpusculaire) est un modèle scientifique basé sur l’idée que la matière est composée de particules. Il permet d’expliquer certains comportements et certaines propriétés de la matière. (www.alloprof.qc.ca/BV/pages/s1050.aspx)