Est-ce que l’image que vous avez de vous-même est perçue de la même façon par votre environnement de travail, par vos proches ou vos parents ?
Reconnaissez-vous, dans le regard des autres, l’image que vous projetez en société?
S’exprimer est un besoin essentiel qui demande d’apprendre plusieurs types de langage en plus de véhiculer une image de soi. Dans certains milieux où la communication est régie par des codes de conduite (l’armée, le monde juridique, le monde des affaires, la mode, etc.), il semble obligatoire de soigner son image et de pouvoir bien la connaître afin de s’affirmer dans l’environnement social choisi. Les images projetées, à l’intérieur d’un milieu de travail, sont souvent formatées par le rôle que nous acceptons, contribuant à façonner le monde dans lequel nous évoluons. Être un cadre, un subalterne ou un consultant teinte inévitablement la façon dont nous nous percevons. Pour chaque secteur d’activité, il existe des types « d’image de soi » véhiculant inévitablement des patterns comportementaux spécifiques (le guerrier, l’homme d’affaires, le mécène, l’intellectuel, le justicier, la victime, etc.). Faire la promotion de son image publique, c’est essayer de la retrouver chez les autres pour donner encore plus de sens à son effort quotidien.
Prenons, par exemple, le monde des affaires. Si l’objectif est de réussir des transactions, de sortir gagnant d’une négociation et d’investir dans des relations qui rapportent à court et à moyen termes, l’image de soi recherchée est celle d’une assurance hors de tout doute, d’une aisance à se présenter et d’une écoute sélective propice à reconnaître les occasions d’affaires. Ce milieu entretient plusieurs stéréotypes comportementaux et privilégie le mode compétitif pour recentrer la communication vers des résultats quantifiables, mesurables et comparables. Savoir s’exprimer en affaires, c’est d’abord connaître le langage de l’argent (money talk) en excluant systématiquement l’image du perdant ou de celui qui ne sait pas tirer son épingle du jeu. Les images de soi en affaires sont celles du prédateur, du dominant, du stratège, mais aussi, dans un souci d’équilibre, celles du mécène, du mentor, du sauveur et du rassembleur hors pair. Il y aurait également d’autres types « d’image de soi » qui permettaient de se réinventer dans le monde des affaires mais, malheureusement, le milieu semble se regarder à travers le prisme de la compétition féroce dans lequel plusieurs s’engouffrent en prenant toujours les mêmes rôles.
Dans le même ordre d’idées, avec la nouvelle génération d’enfants rois, l’image de soi se confond souvent avec le regard des autres. Car, pour être roi ou reine de son milieu, il faut au moins avoir des admirateurs qui vous voient tels que vous vous voulez paraître. Les nouvelles stars d’un jour s’expriment non pas pour améliorer la qualité de leur communication ou pour enrichir un mode d’expression propice à la confidence, mais pour gagner l’approbation de leurs pairs et ainsi magnifier leur image sociale. Le dénominateur commun de ce mode d’expression : le pouvoir du moi. La préoccupation constante de son image devient ainsi le moteur de sa quête identitaire. Il faut « prendre sa place » en s’affirmant le plus possible pour se faire écouter et se faire valoir. La mode des Selfies en est un bon exemple, où l’on glorifie le « je suis quelqu’un » avec le « regardez-moi » pour exister socialement. Il en résulte des vagues de photos diffusées sur les réseaux sociaux. Bizarrement, plusieurs se contentent des J’aime sur Facebook pour confirmer leur image de soi, d’une façon virtuelle, au lieu de privilégier des contacts plus directs et plus intimes pouvant remettre en question ces images de surface et surtout ce qu’elle sous-entend comme pauvreté relationnelle *. L’expression virtuelle de soi est une image instantanée qui devient une publicité égocentrique pour promouvoir ce que nous voulons que les autres admirent et non ce qu’ils pourraient découvrir sur notre véritable personnalité.
Est-il préjudiciable pour la construction de sa personnalité que l’image que les autres ont de nous ne corresponde pas à celle que nous essayons de projeter ? Pourquoi avons-nous besoin d’un catalogue d’images quand il s’agit de se représenter publiquement ? Peut-être parce que nous voulons que ces « images de soi » que nous adoptons nous regardent …
Michel Delage
* «La pauvreté relationnelle peut faire des ravages», Caroline Montpetit, Le Devoir, 15 décembre 2014