Une maxime connue illustre bien cette vision pragmatique voire concrète où le regard s’enracine partiellement sur les objets oubliant momentanément de faire fonctionner cette faculté d’imaginer la profondeur de nos perceptions pour recréer le sens. « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt »
Pourquoi donc regarder le doigt du maître quand il faut faire l’effort d’observer et de comprendre le cycle de la lune ? Pourquoi arrêter sa curiosité intellectuelle et empêcher le développement de son processus imaginatif quand il faut justement dépasser le moment présent afin de saisir toutes les nuances d’une manifestation cosmique ? La question se pose : pourquoi tant de personnes sont-elles incapables de créer une certaine distance entre ce qu’elles voient et ce qu’elles doivent observer préférant réduire la complexité de leur réflexion dans un espace mental qui ne demande pas ou peu d’imagination ? Est-ce la peur de découvrir des territoires inexplorés de leur propre psyché ou au contraire, de la paresse intellectuelle ?
Quand notre monde imaginaire ne nous aide pas à créer du sens à travers nos interactions c’est le signe que notre interprétation de la réalité est trop axée sur le rassemblement d’une suite d’objets. Chaque personne doit nécessairement faire un effort d’abstraction de la chose perçue pour créer une cohérence structurelle qui dépasse la reconnaissance du décor. Comme l’être humain essai continuellement d’organiser son bagage de connaissances en utilisant différents filtres (logique, raison, intuition, sentiment etc.), les exercices imaginatifs, même les plus loufoques, participent à l’effort d’organisation du sens des événements. Il faut donc plonger dans notre monde imaginaire pour transcender ce qui semble apparent et lui donner un sens particulier.
Il est donc difficile de croire que notre faculté imaginative garde son étiquette de «flou quantique» car elle réunie toutes les idées, toutes les sortes de sentiments comme tous ce qui semble étrange dans un monde en perpétuel transformation. Il se peut donc, que notre imagination finisse par être une composante de base dans l’élaboration de notre façon de penser. Alors, quand je parle de communication à caractère imaginatif, il est question de trouver un dénominateur commun intemporel à travers des idées et des principes dépassant de beaucoup ce que nous pouvons observer et même quantifier.
Par exemple, le monde imaginaire des peintres et des artistes en général est un espace à la fois réel et virtuel capable de modifier, structurer et transformer la complexité de notre organisation mentale. Une faculté imaginative faisant souvent le pont entre des dimensions appartenant au passé et au futur pour mieux réactualiser le moment présent et lui donner un nouveau sens. Impossible, à ce niveau, d’avoir trop d’imagination car cette fonction d’imagination ne prend que la place que nous lui donnons à travers nos différentes intentions. Plus nous valorisons notre imagination et plus nous apprenons à lui donner la place qui lui convient.
Même la folie dite «clinique», générée par différentes maladies mentales, reste le symptôme d’une recherche de sens. Se perdre, consciemment ou inconsciemment, dans des espaces mentaux non encore bien organisés oblige à découvrir le «sens de la réalité». Tous les types de folie ont potentiellement leur raison d’être même si les références ne sont plus évidentes. Les visions exacerbées et les fixations troubles restent, paradoxalement, les meilleures pistes de communication pour entrer dans une psyché complètement fragmentée voire éclatée par des expériences de vie ponctuées d’errance à plusieurs niveaux. Les forêts vierges de la psyché humaine, qu’elles appartiennent aux simples d’esprit, aux grands intellectuels comme aux artistes de tous acabits, ont inévitablement la même origine. Ainsi, supportée par les mêmes courants d’énergie dans des cadres superposables où le réel et le virtuel sont complètement imbriqués l’un dans l’autre, notre faculté d’imaginer la réalité appartient à un «no man’s land» qui possède plusieurs sens. Il s’agit parfois de trouver le bon.
L’imaginaire : cet espace ambigüe, ce lieu fantomatique, cette caverne d’Ali Baba remplie d’étrangetés est à l’origine de nos inventions et de nos visions structurantes mais aussi de nos illuminations et de nos phobies passagères. Cette fabuleuse fonction créatrice de sens au quotidien nous permet de séjourner dans plusieurs mondes à la fois pour n’en faire qu’un seul : Le nôtre
Michel Delage